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Marco





Des colliers de perles, à plusieurs rangs, compliqués ou tout simples, très épais, très fins, des roses, des jaunes, des ocrés, il y en a une dizaine, agrafés sur un présentoir en velours. Leur seul point commun, le prix. Un max. Rosanna en choisit un, l’examine.

— Années vingt… Le travail du fermoir est remarquable, dit la vendeuse.

Rosanna le pose près de son cou, se tourne vers moi :

— Comment tu trouves ?

Évidemment il est beau, mais lourd, à la limite de la quincaillerie. Je lui dis pas ça, je lui dis pas non plus qu’un truc pareil autour du cou, ça fait même. Même sur une belle femme comme Rosanna, ça fait même. C’est comme les manteaux de fourrure, c’est bien sur les photos, portés par des filles de quinze ans qui ont l’air de princesses russes. Non, je lui dis que ça fait un peu dame, elle écoute mon avis, et demande à voir des colliers en or. Elle profite de l’absence de la vendeuse pour me caresser la cuisse et remonter jusqu’à l’entrejambe.

Elle quitte Londres, elle suit son mari qui part en poste à New York. Ça l’ennuie, elle aime Paris, mais bon, trois cents mètres carrés sur Central Park, c’est pas mal non plus, à ce qu’il paraît. La vendeuse revient avec un plateau chargé de chaînes et de colliers en or. Rosanna en choisit un très beau, torsadé, qui lui va bien, et décide de l’acheter, sans même demander le prix.

On passe aux bracelets, toujours dans le même métal. Mais, sur son poignet tout fin, c’est trop gros, presque masculin, ce que je lui fais remarquer.

— Peut-être irait-il à Monsieur ? fait la vendeuse, qui n’a pas besoin d’explication pour être au parfum.

Je rigole. Je ne suis pas gêné, parce que, si je l’étais, ça mettrait Rosanna mal à l’aise.

— Je porte pas des trucs comme ça.

Une fois elle m’a offert un Dupont en or. Ça, c’était chiant, parce que personne ne fume autour de moi. J’ai dit à Toutoune que je l’avais trouvé dans la rue, il m’a répondu que j’arrêtais pas de trouver des trucs dans la rue. C’est normal, je marche la tête baissée, je regarde toujours par terre quand je marche, je lui ai dit. Quand j’ai voulu le lui donner, il m’a dit que c’étaient des trucs de gonzesse. Mais il l’a quand même pris pour Rosalie. Même si elle fume pas. Du coup, Rosalie allume sa gazinière à coups de Dupont en or. Cette fois-ci, Rosanna a réussi à m’offrir une chaîne, plutôt discrète. Je pouvais pas refuser, elle partait, c’était son cadeau d’adieu.

Je l’ai raccompagnée jusqu’à sa voiture. Son chauffeur l’attendait. Une tombe, le chauffeur. Il est payé, grassement à mon avis, pour la fermer. Elle m’a dit qu’elle reviendrait pour les collections, l’hiver prochain, qu’elle m’appellerait, qu’elle avait été très contente de me connaître. Moi aussi. Sincèrement. Avant de monter dans la voiture, elle m’a demandé si je me servais de la caméra. Ça, pour servir, elle sert. Je l’ai encore remerciée, elle m’a envoyé un baiser du bout des doigts quand la voiture a démarré.

— C’est magnifique, tu me gâtes trop, mon grand ! a dit Mémée en ouvrant l’écrin.

Je lui ai attaché la chaîne autour du cou, je l’ai emmenée devant le miroir de la cheminée. Elle a récupéré au passage ses hublots triples-foyers.

— Regarde comme tu es belle !

— Si jamais tu avais besoin, la chaîne, tu peux la reprendre, la revendre, tu me le dis.

Je l’ai rassurée, tout va bien, j’ai des gros chantiers en ce moment.

C’est là que mon portable a sonné. C’était madame Téléachat. J’étais sur le cul. Qu’est-ce qui lui prenait de m’appeler ? De toute façon, je ne pouvais faire la conversation là où j’étais. Mémée ne voit pas grand-chose, mais elle est loin d’être sourde.

Je lui ai dit que je rappelais. J’ai raccroché en laissant échapper un « fais chier » entre mes dents. Mémée m’a demandé ce qui n’allait pas.

— Rien de grave, Mémée, un client qui gonfle.

Je suis monté dans ma chambre et j’ai rappelé. Je lui ai pas vraiment laissé le temps de parler. Je lui ai demandé pourquoi ce coup de fil, vu la façon dont ça s’était passé la dernière fois. Je ne l’ai pas dit sur un ton très cordial. Ça l’a pas démontée, elle m’a répondu que c’était à cause de la loupe. La loupe ? Oui, la loupe magique, pour ma grand-mère, qu’elle m’avait promise la dernière fois. Elle l’aurait dans la semaine. Elle voulait juste son adresse, et elle a ajouté :

— Vous faites quoi jeudi entre midi et deux ?